Présentée encore récemment comme la solution miracle face à la crise de confiance que rencontrent nos sociétés humaines, la blockchain commencerait à perdre de son attrait. Comme nombre d’innovations de rupture elle aurait suscité de (trop) fortes attentes et les résultats tarderaient à venir, au point d’évoquer, comme l’Institut Sapiens, une dé-totémisation progressive de la technologie.
Au lieu de blâmer la technologie, peut-être faudrait-il chercher la réponse dans les pseudo-blockchains qui fleurissent dans de nombreuses organisations désireuses de garder le contrôle à tout prix sur les données contenues dans ces transactions.
Appréhender la blockchain en connaissance de cause implique de revenir à ses fondamentaux, donc aux crypto-monnaies comme Bitcoin, et de faire le tri entre ses usages farfelus et ceux réellement nécessaires.
De cette introspection en ressortira ce qui fait l’essence-même de cette technologie : son caractère ouvert et décentralisé.
“Winter is coming” dans la blockchain ? Vraiment ?
A entendre le cabinet Forrester, le monde doit s’attendre à un hiver blockchain en 2019. Rien de nouveau, puisque MERL signalait déjà début 2018 que “99% des projets blockchain d’entreprises n’aboutiraient probablement pas, parce que 99% des projets n’ont simplement pas besoin de cette technologie.”
Dans son discours d’ouverture au salon Blockchain Paris de novembre dernier, Gilles Babinet avait fait état de la désillusion que suscitait désormais la technologie blockchain: “Beaucoup de gens sont déçus, il y a un sentiment de promesses non tenues”.
Ah qu’elle semble loin l’époque où The Economist titrait que la blockchain pourrait bien changer le monde ou bien encore décembre 2017 où le bitcoin tutoyait des sommets avec 20 000 dollars l’unité. Depuis que les crypto-monnaies, Bitcoin en tête, ont perdu près de 80% de leur valeur, rien ne semble plus aller en pays blockchain.
Depuis, nombre d’experts montent à la hâte un réquisitoire sans concession à son encontre et tout y passe : inutilité, complexité, technologie énergivore, bulle spéculative, etc. Difficile de faire la part des choses entre information avérée et biais cognitif. Sans compter que déjà lors du OuiShare Fest 2016, Philippe Dewost, ancien cofondateur du labchain tempêtait que « 80% de ce qu’on peut lire dans la presse sur la blockchain est bullshit ».
D’aucuns n’oseraient remettre en cause son statut de technologie naissante et donc “immature” pour certains, réduite la plupart du temps à l’état de projets pilotes et de POCs (Proof Of Concept). Loin d’en être réduits à de simples coups d’épée dans l’eau, ils ont le mérite de questionner ses commanditaires sur le pourquoi du comment.
Reprenant un rapport Gartner publié à la fin du mois d’août 2018, Capgemini révélait que seulement 3% des entreprises interrogées avaient déployé un projet Blockchain en production. Deloitte considère toutefois que 2019 devrait connaitre la montée en puissance de la technologie en milieu corporate pour atteindre son plus haut niveau d’adoption d’ici 2023.
En outre, les domaines d’application extra-monétaire où la Blockchain se montre particulièrement prometteuse sont légions, comme la Supply Chain, la distribution, l’échange de documents juridiques, l’immobilier ou bien encore la sécurité.
“Avant de vous embarquer dans ce brillant projet blockchain, vous devez avoir une idée très claire de votre recours à cette technologie”–Avoiding the Pointless Blockchain Project, Gideon Greenspan (2015)
“Au sein d’une blockchain qui assure la transparence et la traçabilité des échanges chacun voit l’intégralité des transactions qui s’y déroulent”, explique Benoit Lafontaine, CTO au sein du cabinet Octo Technology et spécialiste de la blockchain.
Pour lui, la blockchain est aujourd’hui “dans la phase descendante de la courbe du hype de Gartner” découlant, fort classiquement, d’une “phase initiale d’immense excitation suivie d’attentes et de promesses disproportionnées”.
Selon Gartner, la tendance blockchain entame sa phase de repli: le seuil de l’innovation blockchain sera atteint d’ici 5 à 10 ans.
Diagramme de tendances en technologies émergentes de Gartner, 2017
Comme le souligne Frank Van de Ven, si on se réfère à ce graphique, la blockchain était déjà censé atteindre son pic d‘attentes excessives à peu près un an et demi auparavant (Juillet 2017).
Par delà l’inflation des usages blockchain, la philosophie crypto et ses fondamentaux
Aux yeux du récent rapport parlementaire mené par Laure de LA RAUDIERE et Jean-Michel MIS “la blockchain est une nouvelle façon d’établir la confiance pour transmettre de la valeur sans tiers de confiance de façon automatique et infalsifiable”.
La blockchain, ou “chaîne de blocs”, est une base de donnée transparente permettant de stocker et de transmettre des informations de manière sécurisée en recourant à la cryptographie pour contourner les tiers de confiance traditionnels. Elle peut être assimilée à un grand livre comptable contenant la liste de tous les échanges.
Utilisée à cor et à cris dans les séminaires, les articles de presse, les diners en ville et autres symposiums, la blockchain a déjà un don d’ubiquité médiatique.
La blockchain a beau connaitre quantité de cas d’usages, Gartner en a recensé 24 cette année, où l’insolite côtoie les plus prometteurs (comme la traçabilité en supply chain, l’échange de documents juridiques ou même l’authentification des acteurs habilités à gérer l’achat d’espace publicitaire sur internet). Elle est initialement née comme une volonté d’alternative au monde de la finance et est intrinsèquement liée à l’univers des crypto-monnaies et de sa devise vedette, le bitcoin.
Première blockchain à émerger en 2009, Bitcoin est né de la méfiance des individus vis à vis des établissements bancaires dans le sillage de la faillite de Lehman Brothers et revendique une culture libertaire marquée par l’exigence de transparence et de désintermédiation. Ses pères fondateurs, connus sous le nom de Satoshi Nakamoto, ont conçu un outil capable de faire tomber les monopoles tenus de longue date par des tiers de confiance. Bitcoin permettait de procéder à des transactions désintermédiées, autrement dit non administrées par un organe central de contrôle.
Les crypto-monnaies, comme Bitcoin, sont mises en circulation de façon sécurisée via l’activité de minage. Les mineurs sont des utilisateurs dont le rôle est défini dans la technologie et qui sont chargés d’assurer la sécurisation de la blockchain. Répartis partout dans le monde, principalement en Chine et en Russie, ces individus mettent à profit la puissance de calcul de leur matériel informatique pour confirmer les transactions et optimiser leur degré de sécurité. Si un mineur est le premier à inscrire une information sur un bloc, il est rémunéré en bitcoin. Il peut ensuite les convertir en monnaie fiat ou les échanger contre d’autres crypto-monnaies sur des plateformes d’échange.
Or, on ne le répètera jamais assez, ce sont ces mineurs, propres aux blockchain publiques, qui garantissent la force probatoire de la technologie.
L’absence de confiance préexistante, première raison d’être de l’adoption blockchain en entreprise
On ne le répètera jamais assez : le recours à la blockchain permet d’injecter de la confiance là où il n’y en a pas.
Comme le rappelle très justement Grégory Raymond, journaliste spécialisé dans la blockchain et les crypto-monnaies : il n’y a pas une, mais des blockchains, le choix se portant bien souvent entre publique ou privée, même si il convient de parler en langage ouvert/fermé.
Le directeur du programme blockchain de Carrefour reconnait tout de go que « Les blockchains publiques sont le saint graal de la blockchain ».
Adoptée pour de mauvaises raisons et bien souvent dans la précipitation, la blockchain privée fait pourtant flores auprès de certaines organisations.
Pour le magazine économique suisse Bilan, Yves Bennaim avait déconstruit le mythe des blockchains privées : “Si vous confiez les clés de votre maison à un inconnu qui dort en laissant la porte grande ouverte, sa vulnérabilité devient la votre.”
IBM, avec sa solution Hyperledger, s’érige d’ailleurs en chef de file de cette évangélisation de la blockchain privée à marche forcée.
Si l’objectif consiste pour l’entreprise à se doter d’un registre distribué inaltérable, il sera préférable de recourir à des technologies alternativesplus simples et plus rapides.
Un avis partagé par Clément Jeanneau, cofondateur de Blockchain Partner : « Beaucoup d’entreprises se sont lancées sans avoir réfléchi à ce qu’elles voulaient faire. Les projets marketing ont fait beaucoup de mal au secteur. »
Aux yeux de Forrester, 2019 verra nombre de projets “blockchain” initiaux basculer dans le registre des DLT (Distributed Layer Technology) afin de recréer l’écart avec les cryptos mais aussi pour la simplification de leur approche technique.
Ownest a fait le choix d’un registre distribué basé sur une multiplicité de blockchains publiques afin de pallier à tout risque d’obsolescence de certains registres. Comme nombre d’experts blockchain de la première heure, nous croyons sincèrement au pouvoir supérieur de la blockchain publique. Nous mettons la technologie au service des besoins en traçabilité des professionnels de la supply-chain et du retail.