Une pandémie apporte toujours son lot d’externalités négatives : à la peur de la contagion se mêle vite l’apparition d’un marché noir profitant du débordement des autorités et du contingentement de certains produits. Situation préoccupante lorsque la demande concerne des produits et des matériels médicaux pénuriques. Loin des 40 millions de masques par semaine nécessaires au freinage de la pandémie, le gouvernement espère en produire, fin avril, 10 millions par semaine (contre 3,3 millions avant crise). Acheminés depuis la Chine et 4 usines de production hexagonales, les masques chirurgicaux et FFP2 sont à la merci d’un détournement de leurs circuits de distribution classiques. Pour conjurer le (mauvais) sort et éviter toute perte de cargaison il existe toutefois une solution : la technologie blockchain. Capable de traçer les flux de marchandises, elle offre à l’instar de la chaîne du froid, via le transfert de responsabilité, une visibilité totale sur la chaîne logistique et ce malgré les ruptures de charges observables tout le long du parcours les menant de l’usine aux établissements de santé concernés.
Quand la logistique des masques de protection est sous tension
Entre 2009 et 2016, l’Etat a revu la taille de ses stocks stratégiques passant d’1,4 milliard de masques (dont 800 millions de masques chirurgicaux et 600 millions de masques FFP2) à 150 millions de masques chirurgicaux mais aucun FFP2 . Des chiffres annonciateurs d’une pénurie dans les deux cas, dans le sens où l’Etat espérait ainsi équiper quelques 3 millions de professionnels (personnels médicaux et paramédicaux mais aussi service de sécurité et professionnels des transports et de la logistique).
Le circuit de l’approvisionnement en masques s’appuie d’ordinaire sur 3 acteurs : les pharmacies d’officines, les grossistes-répartiteurs et les fabricants en direct. En période de crise, comme pour le CoVid-19, les masques sont directement acheminés aux groupes hospitaliers du territoire (GHT) sous la supervision des agences régionales de santé.
Les stocks stratégiques de masques, propriété de l’Etat, sont gérés depuis 2016 par un acteur publique : l’agence nationale Santé Publique France (SPF). Ces derniers sont entreposés sur une plateforme nationale basée dans la Marne. Dans les régions, des produits sont par ailleurs stockés dans 120 établissements de santé pivots. Afin d’entretenir ce stock, l’Etat a mis en place un pont aérien avec deux sites de production chinois majeurs : Shenzhen et Shanghai.
Pour pallier à la pénurie de masques chirurgicaux et FFP2, le gouvernement a selectionné 45 entreprises pour produire l’équivalent de 480.000 masques dits “alternatifs”, en tissus par jour à destination des professionnels non sanitaires (transporteurs, hotes.ses de caisses, préparateur/préparatrices de commandes). L’objectif étant de monter à 2 millions à la fin du mois d’avril.
Ces masques aux normes AFNOR validés par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM) et le laboratoire de la DGA doivent répondre à un cahier des charges stricts mis en place par la Direction Générale de l’Armement (DGA). Les masques individuels à destination des professionnels en contact avec le public doivent disposer d’un pouvoir filtrant supérieur à ceux à visée collective : Les premiers filtrent 90% des particules de 3 microns, les autres 70%.
Pour ces derniers, lavables et réutilisables jussqu’à 20 fois pour certains, Bercy estiment pouvoir en produire 26 millions par semaine dès la fin du mois d’avril.
Entre peur de la contagion et spéculation : la difficile sécurisation du matériel médical en temps de crise sanitaire
Que l’on songe aux écrits de Gustave Lebon mais aussi Freud et Gustave Tarde, les comportements de foule, a fortiori en situation de panique face à un danger imminent, engendre des comportements irrationnels où l’instinct de survie individuel finit par prendre le pas sur l’intérêt collectif (effet d’entraînement/mimétisme, violence physique ou verbale). Il en va de même dans une épidémie comme le COVID-19. L’historien Jean Delumeau avait reconstitué dans son ouvrage de 1978 « La Peur en Occident » tous les effets sociaux d’une épidémie (déni, exode et peur d’autrui, désignation hâtive de responsables…).
Dans une telle situation, inoppinée et brutale, c’est toute la chaîne logistique des masques de protection qui s’en trouve bouleversée.
Or, le cabinet Kyu Associé avait noté en décembre 2019, qu’en dehors de la filière agroalimentaire, le risque sanitaire était largement sous-estimé par les directions supply chain des entreprises, le hissant à la dernière place des risques prévisibles et impactants derrière les catastrophes naturelles, les problèmes de qualité ou de cybersécurité.
C’est d’ailleurs, ce caractère difficilement prévisible qui a amené les médias à y voir “un cygne noir” tandis que son théoricien, Nassim Nicholas Taleb, conteste cette allégation.
Face au caractère pénurique d’adjuvants comme des masques, mais sans possibilité de s’en procurer, marché noir, vols et arnaques explosent.
Sur la période mars — avril, ce sont ainsi 200 000 masques destinés à la région de Seine Saint-Denis qui ont été braqués en Espagne, 33 000 masques dérobés au centre spatial de Kourou en Guyane, 12 000 à l’hôpital de Montpellier. En outre 2 millions de masques volés ont été saisis en Espagne.
D’un côté, certains particuliers, inquiets, se sont mis à stocker plus que de raison ou se sont improvisés vendeurs de masques chirurgicaux et FFP2 en toute illégalité. Etrange démarche que de stocker quand on sait les deux produits périssables (effectifs durant 4 heures pour les premiers, 8 heures pour les seconds). Les points de distribution de masques comme les pharmacies, ont été débordé par des demandes insistantes voire des attaques, alors même qu’ils étaient réquisitionnés d’office par l’Etat pour le personnel hospitalier et médical.
De l’autre, des revendeurs professionnels s’étant procuré de manière frauduleuse certains stocks issues de pharmacies, d’hôpitaux mais aussi de casernes de pompiers. Et les prix s’envolent : avec des masques pouvant aller jusqu’à 15 € l’unité. Ce sont ainsi 3 755 masques destinés à la revente frauduleuse qui ont été saisis au début du confinement dans une pharmacie d’Issy-Les-Moulineaux et 20 000 auprès d’une agence de voyage… et la liste s’étends. Si le marché noir a connu une décrue, il la doit à l’augmentation des capacités de production de masques (de 5 millions avant crise à 8–10 millions), les arnaques aux faux ordres de virement (ou “Fovi”) ont connu une montée en puissance.
Devenus précieux, les masques destinés au stock stratégique de l'Etat sont désormais acheminés par transporteurs sous escorte (COTEP) vers les 186 établissements pharmaceutiques de la répartition avant d’être livrés par les grossistes-répartiteurs vers les intéressés.
Outre le problème de détournement des stocks, figure la mise en conformité en matière de normes sanitaires. Or, force est de constater auprès de certains professionnels que la qualité (respirabilité et filtrage) n’est pas forcément au rendez-vous : les lots de masques vendus pouvant être périmés voir contrefaits.
Or, ces masques s’avèrent cruciaux pour la continuité de l’économie nationale. Véritables barrières filtrantes nécessaire au freinage de la pandémie, les masques FFP2, dôtés d’une pièce frontale filtrante (en forme de bec de canard) protègent le porteur contre l’inhalation d’agents infectieux et ont été jugé comme étant les plus efficaces pour lutter contre le Covid-19.
Vers un meilleur traçage de bout en bout des lots de matériels médicaux via la blockchain
Entre spéculateurs à l’intégrité douteuse et quidam, entrainé par la foule, succombant à la panique, difficile d’encadrer la distribution d’un matériel aussi précieux que des masques de protection quand il n’y a plus raison gardée.
Par sa fonction de traçabilité étendue, la technologie blockchain est en mesure d‘endiguer les détournements et autres erreurs de répartition des lots de masques chirurgicaux mais aussi d’empêcher la disparition de marchandises et ainsi lutter contre le marché noir.
Pour rappel : la blockchain n’est pas une base de données premium mais une mécanique de consensus qui permet d’agencer les effets collatéraux des objectifs individuels de chacun dans un mécanisme qui s’autocontrôle et s’auto-sécurise.
Pour chaque lot de masques tracé il est possible de créer un tracker blockchain de responsabilité. Ce qui fait que dès lors qu’un acteur récupère le produit il récupère du même coup le tracker de responsabilité. Ainsi pour que le transporteur se libére de sa responsabilité il doit le transférer au maillon suivant. Or, ce dernier est libre d’accepter ou de refuser le lot en question dès lors qu’il ne répond pas aux quantités ou aux qualités exigées.
Avec la traçabilité blockchain il est enfin possible de savoir qui est responsable de quoi sur l’ensemble du parcours du lot de masques, de son site de production (usine, fabricant indépendants) jusqu’à son point de distribution (grossistes-répartiteurs, pharmacies) et ainsi opérer un meilleur contrôle de la production et consolider le niveau de stocks.
La technologie distribuée permet de s’assurer de l’intégrité du stock convoyé (et non l’authenticité du produit), autrement dit de repérer l’identité de l’ensemble des acteurs ayant intérragi avec le produit tout le long de la chaîne logistique mais aussi d’empêcher toute tentative de vol ou de substitution de la marchandise.
Si la blockchain peut être déployée pour assurer l’acheminement sans accroc de masques de protection, elle peut aussi s’avérer fort utile sur d’autres produits médicaux critiques en situation de tension comme des composants nécessaires à l’assemblage de respirateurs, des lots de thermométres ou de médicaments de réanimation.
En offrant une visibilité temps réel sur les flux de marchandises et en approvisionnant les bons interlocuteurs, c‘est tout le personnel médical et paramédical ainsi que les agents en première ligne (transporteurs, caissiers, postiers, agents de sécurité…) qui pourront poursuivre leur mission essentielle à la nation.